Cette article était publié en anglais dans le numéro 77 du journal Proletarian Revolution, organe de la LRP.
Pendant près de trois semaines en octobre et en novembre 2005, les ghettos ouvriers arabes et africains entourant Paris et d’autres régions urbaines furent secoués par des émeutes de jeunes indignés par le harcèlement policier raciste et les conditions horrifiantes qu’ils subissent. Plusieurs milliers de voitures ainsi que des douzaines de commerces et d’entrepôts furent incendiés. Le gouvernement a invoqué des pouvoirs d’urgence draconiens et les a prolongé, utilisant une loi de 1955 conçue pour réprimer la lutte algérienne pour l’indépendance nationale; plus de deux mille personnes ont été arrêtées par la très brutale police antiémeute CRS. Des centaines d’ « étrangers » furent sommairement déportés.
Mais la rébellion s’est étendue. Ainsi au beau milieu de leur répression, les représentants du gouvernement ont du parler de réformes pour calmer les ghettos : la droite proposant des incitatifs pour les nouvelles entreprises, la « gauche » (c’est-à-dire les partis Socialiste et Communiste réformistes et contre-révolutionnaires) proposant de meilleures écoles et plus de travailleurs sociaux.
Les émeutes de la jeunesse, le plus grand bouleversement qui a secoué la France depuis le mouvement étudiant et la grève ouvrière générale de mai 1968, ont été déclenché par la mort de deux adolescents fuyant la police dans la banlieue parisienne de Clichy-sous-Bois et par les abominables insultes racistes du ministre de l’Intérieur Sarkozy qui déclara en fait la guerre contre les ghettos. (Il a qualifié les jeunes de « racailles » et de « voyous » qui doivent être “nettoyé au Karcher” (durement réprimés). Une grenade lacrymogène lancée par des policiers dans une mosquée à Clichy pendant la prière du vendredi a contribué à alimenter la colère.
La rébellion a trouvé également des échos dans d’autres pays européens. Il y a eu des incendies de voitures à Berlin et Bruxelles, entre autres villes. « Nous ne pouvons penser que ce soit si différent de Paris ici, c’est seulement une question de temps » a dit Romano Prodi, un politicien italien de « gauche » et un ancien président de la Commission Européenne.
Les causes plus profondes de la rébellion sont les trente ans d’attaques de la classe dirigeante contre la classe ouvrière depuis la fin de la croissance économique de l’après-guerre, et par- dessus tout la cible spéciale de ces attaques sur les familles immigrantes de couleur, la plupart d’entre elles provenant des anciennes colonies françaises en Afrique. Elle a déchiré le vernis de « liberté, égalité, fraternité » dont la droite et la « gauche » en France prétendent que c’est la réalité dans ce pays impérialiste. Les conditions de vie imposées aux familles immigrantes, qui représentent maintenant 10% de la population en France, sont misérables dans les villes de banlieue : chômage astronomique, pauvreté, discrimination, des HLM délabrés, des vérifications racistes incessantes de cartes d’identité et d’autres formes de terreur policière.
La stratégie de diviser pour régner de la classe dirigeante française est une partie du chauvinisme anti-immigrant croissant partout à travers l’Europe. Dans le cas de la France en particulier, c’est un prolongement du colonialisme français, qui traite les descendants de ses anciens sujets coloniaux non comme une partie du « peuple français » comme le républicanisme daltonien prétend qu’ils sont, mais comme une caste subordonnée et assujettie à une surexploitation totale. Et parce qu’ils sont officiellement « Français », ils n’ont pas de programmes spéciaux. Il reste peu de colonies françaises maintenant mais la mentalité coloniale demeure, et de l’autre côté elle façonne (avec plus de précision) la conscience des opprimés.
C’est un fait important que la révolte se soit produite dans une période d’intensification des manifestations de la classe ouvrière contre les plus récentes attaques anti-ouvrières, les programmes d’austérité et de privatisation néolibérale du gouvernement de droite du président Chirac et du premier ministre De Villepin, incluant le vote massif des électeurs français contre la Constitution européenne proposée en mai 2005. Ce qui veut dire que la rébellion de la jeunesse prend place dans un pays oů la classe ouvrière dans sa totalité n’a pas oublié les méthodes et les leçons du syndicalisme de combat en dépit de sa direction.
Les émeutes ont fait les grands titres aux Etats-Unis, mais en même temps il y avait des grèves significatives en France, incluant une par les travailleurs du transport à Marseilles, la deuxième plus grande ville du pays. Le gouvernement s’est empressé de briser cette grève en même temps qu’il renforçait les policiers dans les ghettos en révolte. La nécessité pour l’unité de la classe ouvrière était manifeste mais pas un seul syndicat n’a dénoncé la terreur policière.
Les 21 et 22 novembre 2005, quelques jours après que la rébellion se soit calmée, une grève nationale des chemins de fer a fermé la majorité des trains en France ainsi que le métro de Paris. La grève a été appelée en opposition aux plans du gouvernement de privatiser une partie des voies ferrées gérées par l’État, une attaque évidente contre les gains des travailleurs. Mais alors même que la grève prenait avantage de la faiblesse de Chirac suite à son incapacité de réprimer les émeutes de la jeunesse, les syndicats qui dirigeaient la grève n’ont pas pensé à protester contre les attaques simultanées du gouvernement contre cette autre section de la classe ouvrière.
Les travailleurs révolutionnaires et la jeunesse révolutionnaire doivent trouver des manières d’étendre les luttes militantes de la jeunesse opprimée au reste de la classe ouvrière. Il est plus nécessaire que jamais pour la classe ouvrière dans sa totalité de reprendre à son compte la lutte des jeunes opprimés racialement, parce que la surexploitation des travailleurs opprimés est non seulement injustifiable pour tout combattant avec une conscience de classe, mais parce qu’elle sape les salaires et les conditions de tous les travailleurs. De plus, les attaques policières contre les jeunes arabes et africains préparent le terrain pour des attaques similaires contre tous les ouvriers militants.
Afin de reprendre cette lutte, les travailleurs devront vaincre la direction pro-capitaliste de leurs syndicats et des partis pseudo-socialistes et faire avancer la lutte vers une grève générale pour arrêter toutes les attaques contre la classe ouvrière. Au minimum, les révolutionnaires qui militent dans les syndicats doivent demander que ces derniers prennent le côté des rebelles et défendent leur cause au lieu de prendre le côté du gouvernement.
Les obstacles sont grands. Les dirigeants réformistes et bureaucratiques des syndicats et les misérables partis basés sur la classe ouvrière font honte aux noms « socialiste » et « communiste ». Ils ont négligés de lutter contre la discrimination raciale et chauvine pendant des années - en effet ils ont contribués à imposer certaines des pires conditions quand ils étaient au pouvoir nationalement et localement. Dans le passé, ils ont défendu le colonialisme français au Vietnam et en Algérie face aux luttes de libération nationale. Maintenant ils critiquent de la droite le gouvernement droitier. « Le gouvernement se montre incapable de rétablir l’ordre public » a écrit la direction du PCF (4 novembre). « Par-dessus tout il est impératif de rétablir l’ordre et la sécurité » disait la direction du PS (8 novembre), demandant en fait plus de répression, plus d’arrestations et plus d’abus racistes.
Cette continuelle trahison par les organes officiels de la classe ouvrière a conduit les opprimés à frapper de manière indiscriminée plutôt qu’avec une conscience de classe. Ils ont ciblés non seulement la police qui les brutalise, les écoles qui les humilient et le gouvernement qui les jette au rebut. Ils ont aussi détruit les voitures appartenant à d’autres travailleurs et ont attaqué des travailleurs qui essayaient d’éteindre les incendies dans leur quartier. Certains des émeutiers étaient sans aucun doute des éléments lumpen, des criminels de bas niveau comparé aux capitalistes et aux policiers, mais un danger quotidien pour ceux qui vivent près d’eux. Néanmoins, la grande majorité sont des travailleurs employés dans des travaux sans débouchés ou n’en ont pas du tout. Ils sont une partie de notre classe, leur rébellion fait partie de la lutte de classe quoique mal orientée, et c’est un crime que la soi-disant gauche et même la soi-disant « extrême-gauche » les considèrent comme une force étrangère.
Aux Etats-Unis, nous avons fait l’expérience des « émeutes de ghettos » -- les révoltes des Noirs dans les villes américaines à partir des années 60 jusqu’à Los Angeles en 1992 et à Cincinnati en 2001. Même si le racisme existe dans toutes les sociétés impérialistes, les Etats-Unis portent la responsabilité principale à cause de leur histoire d’esclavage. Et même si le racisme en France est relié en grande partie à sa propre histoire de colonialisme, il prend de plus en plus des formes américaines. A la lumière de ça il est important de noter que les Noirs américains ont exporté l’exemple de rébellion massive contre l’oppression raciste avec la résistance culturelle et politique. Les jeunes Arabes et Africains en France sont hautement conscients de ça. Comme en Amérique, les révoltes françaises sont le signal d’un cri encore naissant à l’intérieur de la classe ouvrière pour une direction révolutionnaire afin de confronter un système capitaliste brutal et son État, ainsi que pour jeter les bases pour la création d’une telle direction.
Les révoltes des ghettos américains furent directement responsables de l’obtention de gains importants quoique limités pour les Noirs. Traditionnellement ces gains sont portés au crédit, d’une manière largement fausse, du mouvement pour les droits civils dirigés par la classe moyenne dans les années 60. Par ailleurs, la rébellion des jeunes a déjà amené le gouvernement à parler de réformes tout en intensifiant la répression. De plus, les explosions américaines dans les années 60, avec d’autres soulèvements similaires au cours de cette décennie, dont la révolte et la grève générale françaises en 1968, furent l’étincelle pour recréer le noyau pour un communisme authentique dans ce pays.
Ces jeunes qui voient la nécessité pour une lutte de classe générale ne devraient pas attendre que le reste de la classe passe à l’action. Ils auront besoin de trouver d’autres façons pour rejoindre les autres travailleurs et leurs organisations. Comme nous avons écrit dans Proletarian Revolution no. 44 au sujet des émeutes de Los Angeles « qui doivent être surpassées et non répudiées. L’action de masse doit devenir une action de classe pour qu’elle réussisse ». Dans des situations comme les soulèvements de Los Angeles et de Cincinnati aux Etats-Unis, nous appelons pour des réunions communautaires de masse afin de discuter comment combattre pour des emplois et contre le racisme.
La révolte de la jeunesse opprimée en France -- si les révolutionnaires peuvent remplir leur rôle -- peut être l’étincelle pour amener toute la classe ouvrière dans la lutte pour ses intérêts communs : des emplois pour tous avec des salaires identiques à ceux des travailleurs syndiqués, la fin du racisme policier et des attaques gouvernementales contre les immigrants ainsi que l’égalité économique et politique pour tous les travailleurs et les opprimés.
Une grande partie de la responsabilité pour l’échec des organisations de masse de la classe ouvrière à lutter contre l’oppression raciste incombe à l’extrême-gauche française. En France, contrairement aux Etats-Unis, les organisations qui se décrivent elles-mêmes comme étant révolutionnaires et mêmes trotskystes ont un poids considérable à l’intérieur de la classe ouvrière. Par exemple, en les prenant ensemble, trois groupes (Lutte Ouvrière/LO, la Ligue communiste révolutionnaire/LCR et le Part des Travailleurs/PT) ont remporté plus de 10% des votes lors des dernières élections présidentielles en 2002, surpassant le Parti communiste, le parti électoral traditionnel des travailleurs. Mais ils se sont aussi distingués en endossant, directement ou tacitement, la réélection du bourgeois réactionnaire Chirac au dernier tour, parce qu’il était face à un Le Pen encore plus réactionnaire. De plus, ils ont aussi endossé ou ont eu une attitude hésitante au sujet de la loi réactionnaire introduite par Chirac pour exclure les jeunes filles musulmanes qui portent le voile à l’école. Cette capitulation face à la laďcité imposée par l’État les place en fait du côté de la classe dirigeante en restreignant les droits des opprimés et en « civilisant » les immigrés provenant des anciennes colonies.
Dans la dernière crise, ces organisations n’ont pas fait mieux. Elles n’ont jamais exprimé leur solidarité avec ou en défense des révoltes. LO a été la pire. Elle a affirmé par exemple que « la violence de la vie quotidienne dans ces quartiers peut bien être l’œuvre de voyous ou de trafiquants », reflétant une partie de la réalité mais ignorant le harcèlement policier quotidien -- et mettant de côté le fait évident que la vie quotidienne se résume au chômage, à la pauvreté et au racisme, une condition permanente de violence contre les ghettos. LO a aussi écrit que « avec l’appauvrissement général des classes laborieuses, ces quartiers deviennent des ghettos », sans même mentionner le racisme rampant contre les gens d’origine arabe et africaine.
Elles ont aussi fait écho à la rhétorique de « la loi et l’ordre » des dirigeants du PC et PS dont ils sont à la remorque. LO a appuyé la revendication des manifestants que la police antiémeute soit enlevée des ghettos, mais elle a plutôt appelé pour le remplacement des CRS par la « police communautaire » sous le contrôle des autorités locales -- comme si une autorité policière assujettie à l’État bourgeois et raciste pourrait être du côté des travailleurs et des immigrants. La LCR a également fait des compromis sur cette revendication, affirmant être pour ça tout en signalant sa volonté de la retirer face à l’opposition des dirigeants réformistes des syndicats et du Parti Communiste. (La LCR espère forger un bloc électoral avec les socialistes, les communistes et certains partis bourgeois -- un front populaire de la « Gauche Plurielle » réunifiée -- dans les élections à venir en 2007).
Un authentique parti communiste révolutionnaire est nécessaire en France. Mais il devra, entre autres choses, rompre avec la monstrueuse tradition de l’oppression raciste imposée en refusant la possibilité de son existence et mettre la brűlante question coloniale/raciale au premier plan. C’est seulement ainsi que le potentiel révolutionnaire de la révolte de la jeunesse opprimée pourra être réalisé.
La révolte de la jeunesse, si elle continue et si les révolutionnaires interviennent avec succès, pourrait contribuer à enflammer les grands bataillons des travailleurs français pour qu’ils se débarrassent de leurs dirigeants traîtres et qu’ils lancent une lutte massive pour le programme déjà mentionné. Une telle lutte élèverait grandement la conscience de classe et rapprocherait le jour oů la classe ouvrière, sous la direction de son propre parti d’avant-garde, pourra mettre un terme au pouvoir de l’État capitaliste et créer un État ouvrier sur la route du socialisme et du communisme.
Le programme pour la lutte devrait inclure les revendications suivantes avec la compréhension que des ajustements tactiques et de formulation pourraient être fait :