Cette article était publié en anglais dans le numéro 65 du journal Proletarian Revolution, organe de la LRP.

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Les théories de l’effondrement du stalinisme

La chute de l’Union soviétique et des régimes staliniens de l’Europe de l’Est il y a un peu plus d’une décennie a transformé la scène mondiale. Elle a apporté une fin spectaculaire à la période de la Guerre Froide et a inspiré d’énormes réjouissances sur la «fin de l’histoire» et le triomphe du capitalisme dans un «Nouvel Ordre Mondial». Elle a légitimé la perspective néo-libérale du libre-marché, qui fût alors imposée aux Etats autrefois staliniens, ce qui s’est avéré un désastre économique, non seulement là-bas mais aussi dans la plupart des régions du monde.

L’effondrement a également désorienté presque toute l’extrême-gauche internationale, les organisations et les militants qui se considèrent eux-mêmes comme étant des révolutionnaires de la classe ouvrière. De nombreux gauchistes souscrivaient aux théories et aux croyances qui considéraient l’Union Soviétique comme étant socialiste ou en tant qu’État ouvrier; donc à leurs yeux sa chute a représenté également une défaite majeure pour le marxisme. D’autres qui reconnaissaient les régimes staliniens comme étant contre-révolutionnaires sont également devenu démoralisés, parce que pendant plusieurs années par la suite, l’audience ouvrières pour les idées socialistes a diminué de manière significative sous l’effet de l’effondrement du stalinisme.

Mais maintenant que la crise économique grandissante aux États-Unis et dans les autres États impérialistes est appelée à remettre en question le triomphe du capitalisme, l’ouverture aux idées socialistes renaît dans la classe ouvrière. Cela signifie qu’une compréhension renouvelée du stalinisme est d’une importance vitale. Car il est impossible de comprendre le monde d’aujourd’hui sans comprendre le rôle joué par le stalinisme, à la fois en tant que forme déformée de l’exploitation capitaliste et en tant que pilier essentiel pour la stabilité du capitalisme à l’échelle mondiale. Le stalinisme nous a laissé un héritage de deux maux: la réanimation du capitalisme à partir de son agonie dans les années 1930, et la destruction de la conscience de la classe ouvrière de l’alternative prolétarienne au capitalisme.

Les contradictions d’aujourd’hui nous rappellent celles qui ont renversé le stalinisme et sont en train de miner la stabilité du capitalisme dans son ensemble. En outre, les solutions erronées soulevées par l’extrême-gauche à la crise du stalinisme sont de nouveau mises de l’avant comme étant la réponse de la classe ouvrière à la crise grandissante de l’impérialisme. Pour toutes ces raisons, nous revenons sur les débats au sujet du caractère de classe et de la chute des sociétés pseudo-socialistes créés sous la domination stalinienne.

Le capitalisme étatisé

Notre journal Proletarian Revolution a combattu depuis 1976 pour défendre l’analyse unique du stalinisme de la League for the Revolutionary Party [Ligue pour le Parti Révolutionnaire] (et plus tard l’Organisation communiste pour la Quatrième Internationale): que l’URSS et les autres États pseudo-socialistes étaient des formes éphèmères de capitalisme étatisé. Maintenant d’autres personnes, notamment des révolutionnaires dans l’ancienne URSS, sont arrivées à la même conclusion.

L’État ouvrier soviétique a été créé en 1917 par la révolution bolchevique. Son objectif du socialisme, une société sans classes offrant l’abondance pour tous, dépendait de la propagation des révolutions prolétariennes aux pays les plus avancés. Mais l’Union Soviétique a survécu de justesse aux armées tsaristes et impérialistes qui l’ont agressé lors de la guerre civile de quatre années qui a suivi. La dévastation combinée de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile a laissé le pays encore plus arriéré que par le passé; le prolétariat, par-dessus tous ses cadres révolutionnaires, fût décimé. En outre, la défaite des soulèvements ouvriers révolutionnaires ailleurs en Europe a isolé l’État soviétique. L’État soviétique affaibli ne pouvait plus se débarrasser des signes extérieurs du capitalisme, comme l’échange de marchandises selon la valeur et le système des salaires. En conséquence, durant les années 1920, la bureaucratie conservatrice dirigée par Joseph Staline a consolidé son pouvoir à la tête de l’État et du Parti communiste au pouvoir.

La dégénérescence s’est accélérée dans les années 1930. Au cours des Grandes Purges dans la seconde moitié de la décennie, les staliniens ont éliminé les éléments révolutionnaires survivants dans le parti et ont détruit le corps des officiers de l’Armée rouge. Le noyau essentiel du pouvoir de l’État – son armée, sa police et son appareil judiciaire – ont été purgés et re-purgés jusqu’à ce que tous les vestiges du bolchevisme soient effacés. Ainsi, l’appareil d’État a été brisé et reconstitué en un instrument du sommet de la bureaucratie – une nouvelle classe capitaliste, une classe dirigeante régnante à la place de la bourgeoisie détruite. Cela signifiait l’achèvement de la contre-révolution: l’État ouvrier était détruit. Même si l’industrie est restée étatisée, une fois que la bureaucratie stalinienne s’est elle-même mise en place en tant que classe dominante, tout comme les capitalistes partout ailleurs, elle soutirait la plus-value aux travailleurs à travers le mécanisme du travail salarié. Nous avons appelé «capitalisme étatisé» le système bâtard qui en a résulté.

Au niveau international, l’URSS de l’après-Seconde Guerre mondiale a appuyé nominalement les luttes de libération nationale contre l’impérialisme occidental, en travaillant surtout pour empêcher ces mouvements d’aller au-delà des limites du capitalisme. En Europe, elle a garanti les sphères d’intérêt des États-Unis et des autres puissances occidentales en refrénant les luttes ouvrières. Son rôle a été essentiel pour saboter les mouvements révolutionnaires des travailleurs après la guerre. Ainsi, malgré les rivalités de la guerre froide entre l’URSS et l’Occident, le stalinisme a soutenu l’ordre impérialiste mondial dirigé par les États-Unis, tout en faisant avancer ses propres intérêts impérialistes régionaux .

Cette analyse est expliquée en détail dans notre livre, The Life and Death of Stalinism. Dans cet article, nous allons réexaminer la question à la lumière de l’effondrement du système stalinien et des événements du monde post-stalinien, et parler de certaines de ces théories faussement présentés comme étant marxistes.

L’effondrement de la théorie

La “question russe” a été débattue au sein de la classe ouvrière depuis 1917, mais surtout depuis les staliniens ont pris le contrôle de l’URSS. Staline, devenu entretemps le dictateur de facto, affirmait dans les années 1930 que la société soviétique était socialiste, la première étape de la société sans classes le communisme. Ceci battait en brèche les enseignements sensiblement fondés de Karl Marx, le fondateur du mouvement communiste, et de Vladimir Lénine, le dirigeant de la révolution ouvrière russe, à l’effet que le socialisme exige l’élimination de la pénurie; l’État ouvrier soviétique ne pouvait atteindre le socialisme que par la propagation de la révolution prolétarienne aux principaux pays industriels avancés.

Léon Trotsky, le dirigeant communiste de l’opposition à la trahison de la révolution par le stalinisme, a contesté le dogme de Staline avec l’analyse selon laquelle une contre-révolution politique avait eu lieu: l’État ouvrier n’avait pas été éliminé, mais n’évoluait pas vers le socialisme, il régressait plutôt vers le capitalisme. L’URSS sous la bureaucratie stalinienne était devenue un «État ouvrier dégénéré»: elle avait enlevé la classe ouvrière dans son ensemble de l’exercice effectif du pouvoir d’État, miné ses réalisations révolutionnaires et était en voie de restaurer la domination du capitalisme. Trotsky qualifiait la contre-révolution continue de «guerre civile préventive» contre le prolétariat, mais ne tirait pas notre conclusion que la contre-révolution sociale avait été complétée, c’est-à-dire que la nature de classe de l’État avait changée de prolétarienne (quoique dégénérée) à capitaliste.

Contrairement à la prédiction de Trotsky, enracinée dans sa croyance erronée selon laquelle l’État ouvrier dégénéré persistait, la Seconde Guerre mondiale n’a pas conduit à la fin du stalinisme, mais plutôt à son expansion, en Europe de l’Est par la conquête soviétique et en Chine et dans d’autres pays d’Asie à travers les révolutions par des partis staliniens qui n’étaient pas basés sur la classe ouvrière. Des soulèvements ouvriers indépendants dans plusieurs pays furent écrasés. Les staliniens ont d’abord régnés par des coalitions de front populaire avec les partis bourgeois traditionnels. Ce n’est que lorsque la classe ouvrière fût contenue et décapitée que les staliniens consolidèrent leurs régimes de capitalisme étatisé.

Le mouvement trotskyste, la IVème Internationale (QI), était en plein désarroi après la Seconde Guerre mondiale. (Trotsky lui-même avait été tué sur l’ordre de Staline à la veille de la guerre.) Il s’est adapté au milieu petit-bourgeois qui s’est développé rapidement dans les pays impérialistes au cours de l’expansion d’après-guerre. Le triomphe du stalinisme l’a infecté avec le cynisme envers la révolution prolétarienne qui était répandu au sein de l’intelligentsia petite-bourgeoise. Alors que Trotsky considérait les réformistes staliniens et les sociaux-démocrates comme étant des ennemis contre-révolutionnaires du socialisme ouvrier, la QI s’est adaptée à ces milieux en Europe occidentale; ils furent perçus comme étant des progressistes, dont la vision n’allait tout simplement pas jusqu’au bout du chemin de la révolution socialiste. De là il n’y avait qu’un petit pas vers l’idée que les staliniens en Europe de l’Est et ailleurs pouvaient réaliser la révolution socialiste, s’ils étaient «poussés» par la lutte de masse.

Sur les nouveaux régimes en Europe de l’Est, la QI avait d’abord dit, avec exactitude, qu’ils étaient capitalistes d’État. Mais ceci créait une contradiction en ce que l’URSS, avec à peu près la même structure économique, était toujours censée être un État ouvrier. Puis, plusieurs années après le fait, la majorité «orthodoxe» dirigée par Michel Pablo a résolu la contradiction, en décidant qu’ils étaient devenus des États ouvriers, «déformés» plutôt que dégénérés parce que la classe ouvrière n’y avait jamais conquis le pouvoir. Comment des États créés par l’écrasement de la classe ouvrière pouvaient être des États ouvriers de n’importe quel genre n’a jamais été sérieusement expliqué. Les pablistes orthodoxes n’ont même pas pu se mettre tous d’accord sur le moment où les nouveaux États ouvriers ont été créés en Europe: quand l’armée soviétique les a «libéré» de leurs précédents conquérants nazis en 1944-45, ou lorsque les partis communistes ont consolidés seuls leur pouvoir quelques années plus tard. (Le chapitre 7 de notre livre contient une discussion détaillée de ces questions; voir également Stalinist Expansion, the Fourth International and the Working Class)

Plusieurs groupes minoritaires parmi les trotskystes se sont opposés à ces négations tordues du marxisme. James Cannon, le chef du SWP américain, a écrit:

Je ne pense pas que vous puissiez modifier le caractère de classe de l’État par des manipulations au sommet. Ça ne peut être fait que par une révolution qui est suivie par un changement fondamental dans les rapports de propriété .... Si vous commencez une fois à jouer avec l’idée que la nature de classe de l’Etat peut être modifiée par des manipulations dans les cercles dirigeants, vous ouvrez la porte à toutes sortes de révisions de la théorie de base. (Bulletin interne du SWP, Octobre 1949.)

Ernest Mandel, le théoricien trotskyste en chef en Europe, a également insisté correctement sur ce qui suit :

Nous continuerons jusqu’à ce que nous ayons la preuve suffisante du contraire, de considérer comme absurde, les théories d’un ... État ouvrier dégénéré qui est instauré dans un pays où il n’y a pas déjà eu une révolution prolétarienne. (Fourth International, 1947.)

Peu de temps après, Cannon et Mandel se rallièrent à ces révisions et absurdités et avalèrent la parodie des États ouvriers déformés.

D’autres dissidents ont essayé de résoudre la contradiction de d’autres façons. Certains ont développés des théories à l’effet que l’URSS et ses émules étaient capitalistes d’État pour décrire l’exploitation des travailleurs soviétiques et les autres crimes staliniens. C.L.R. James et Raya Dunayevskaya sont arrivés les plus près d’une compréhension pleinement marxiste en commençant à analyser comment la loi de la valeur du capitalisme fonctionnait en URSS. Tony Cliff qualifiait le système de capitaliste d’État, mais il a insisté qu’il lui manquait le travail salarié et la loi de la valeur. Max Shachtman et d’autres étaient d’accord que le stalinisme ne suivent pas les lois du capitalisme et que par conséquent il s’agissait d’une nouvelle société d’exploitation non-capitaliste appelée collectivisme bureaucratique.

Les autres défauts mis de côté, aucun de ces courants n’a traité adéquatement de la dimension historique du «changement de régime» en URSS: comment et quand l’État ouvrier soviétique a t-il passé à la trappe? L’analyse de Trotsky sur l’État ouvrier dégénéré était le point de départ nécessaire. Pourtant, James-Dunayevskaya, Cliff et Shachtman ont tous rejeté le concept même d’un État ouvrier dégénéré, c’est-à-dire qu’ un État ouvrier pouvait être renversé en cours de route et rejeté vers le capitalisme. Ils ont tous dit ou laissé entendre que les staliniens avaient mis fin à l’État ouvrier au moment où ils consolidèrent leur pouvoir dans les années 1920 ou au début des années 1930.

Une clé à cette question c’est qu’ils n’ont pas saisi que les formes capitalistes sont inhérentes à l’intérieur d’un État ouvrier. Marx et Lénine ont souligné que l’État ouvrier n’est pas encore le socialisme, mais transitoire vers lui; il s’agit d’un «État bourgeois sans bourgeoisie». Ainsi l’URSS au début a commencé comme un champ de bataille entre le capitalisme fonctionnant aveuglément, les lois du mouvement anarchiques (résumée comme la loi de la valeur) et la direction du prolétariat conscient.

Les trois formules qui prédominaient parmi les trotskystes autoproclamés – les États ouvriers déformés, le collectivisme bureaucratique et le capitalisme d’État de Cliff – étaient en fait des variantes d’une théorie commune. Elles niaient toutes la centralité de la loi de la valeur sous le stalinisme, car elles considéraient que la valeur est déterminée par l’échange sur le marché, et non pas par l’exploitation des travailleurs dans la production. Toutes les trois soutenaient que le seul régulateur économique était la planification prétendument consciente par la bureaucratie au pouvoir.

Des versions de ces théories existent encore aujourd’hui. Aucune ne pouvait analyser comment le système stalinien fonctionnait ou expliquer sa disparition. Elles ne pouvaient ni prédire ni expliquer (dans certains cas, même pas admettre) l’affaiblissement du système stalinien qui a conduit à son effondrement; en fait, elles l’ont toutes vu comme étant plus fort et plus dynamique que le capitalisme occidental, pour le meilleur ou pour le pire. Ceci les a laissé patauger et finalement capituler quand est venu le temps d’intervenir dans les luttes de classes qui ont éclaté.

Les théories de l’effondrement

Le stalinisme a survécu en tant que puissance mondiale pendant près d’un demi-siècle après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, jusqu’à la toute fin, presque tous les observateurs, de droite et de gauche, pensaient que le système soviétique demeureraient essentiellement intact pendant des décennies. Les porte-parole bourgeois en Occident avaient autrefois exagéré la force économique de l’URSS pour plusieurs raisons: pour justifier l’énorme accumulation du potentiel militaire des impérialistes, et pour supprimer la lutte de classe domestique face à un adversaire externe puissant. Après la chute, ils ont proclamé les vertus de la «démocratie» et du «libre marché» et ont promis que ces fictions sortiraient la région de son marasme. Ce n’était guère une opinion désintéressée, puisque les impérialistes occidentaux se sont partagés le pillage de l’ancien empire russe qui s’est accéléré lorsque Boris Eltsine est arrivé au pouvoir à la fin de 1991.

Les analystes de gauche ont fait à peine mieux. Les «trotskystes orthodoxes», dirigés par Mandel de la tendance du Secrétariat Unifié (SU), ont considéré les États staliniens comme étant progressistes par rapport au capitalisme. Ils ont salué le taux de croissance initialement élevé en Russie et en Europe de l’Est après la guerre, sans reconnaître que ceci était temporaire, tout comme dans une grande partie du monde capitaliste traditionnel. Ainsi, ils furent pris par surprise quand la pourriture interne du système a ouvert la voie à son effondrement. Après la chute, en dépit de leur théorie commune, ils ne pouvaient être d’accord si les anciens États staliniens étaient devenus capitalistes ni quand. La «théorie» s’est avérée sans fondement pour l’analyse, mais simplement un nom pour des sociétés qui semblaient autrefois être à l’abri des crises du capitalisme.

Le principal courant du capitalisme d’État, la Tendance Socialisme International de Tony Cliff (TSI), voyait l’économie étatisée comme étant le point culminant le plus dynamique des tendances centralisatrices du capitalisme et a donc interprété le stalinisme en tant que développement futur du capitalisme, qui avait déjà remplacé l’impérialisme comme stade suprême du système. Ainsi, ils ne pouvaient pas prévoir la poussée des dirigeants vers la privatisation. Les théoriciens de la TSI ont changé d’avis seulement lorsque la crise du système est devenue évidente, mais ils ne rendirent pas de compte sur leur virage à 180 degrés.

Les adeptes de la théorie du collectivisme bureaucratique pensaient également que le stalinisme était la vague de l’avenir, ils voyaient le monde enfermé dans une lutte titanesque entre deux systèmes opposés, avec le stalinisme comme étant le plus dynamique. L’aile dominante dirigée par Max Shachtman pensait initialement que le stalinisme était plus progressiste par rapport au capitalisme à cause de sa propriété collectivisée; finalement ils ont décidé que puisque le capitalisme se réclamait de la démocratie (en ignorant surtout la réalité des pays coloniaux et ex-coloniaux) et ont donc choisi de prendre le parti de l’impérialisme occidental.

Notre théorie, au contraire, nous a permis de prévoir les lignes de la crise du stalinisme. Lorsque ce magazine a d’abord été publié en 1976, nous avions soutenu que des gains importants de la classe ouvrière avaient survécu à la contre-révolution – la nationalisation complète de l’industrie, le droit à un emploi, au logement, aux soins de santé, etc. Ce maintien a entravé l’exploitation capitaliste généralisée, et donc les dirigeants staliniens furent poussés à adopter les méthodes capitalistes de style occidental: la concurrence du marché, le chômage massif, une inflation rapide et d’autres attaques ouvertes contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Autrement dit, la stagnation économique croissante des sociétés staliniennes les a contraint à évoluer en direction du capitalisme traditionnel.

La crise à l’Est et à l’Ouest

Le chapitre 5 de notre livre a une explication supplémentaire de la «crise permanente» dans laquelle le stalinisme d’après-guerre s’est trouvé. Le capitalisme traditionnel passe par des cycles d’expansion et de récession, provoqués par des crises de surproduction qui se produisent périodiquement parce que les capitalistes indépendants sont collectivement conduits à accumuler des moyens de la production au-delà de ce que le système économique peut tolérer. Dans la phase de dépression du cycle, les capitaux les plus arriérés et les plus faibles sont anéantis et le niveau de vie des travailleurs est contraint de diminuer, permettant ainsi à la rentabilité de se raviver et à la phase d’expansion de commencer.

Le système stalinien du capitalisme étatisé a, cependant, empêché l’élimination des industries obsolètes, de sorte que les crises ne pouvaient pas être résolues. La production se poursuivait avec des méthodes inefficaces et à des taux déclinant progressivement. En URSS, par exemple, le principal conseiller économique du chef du parti Mikhail Gorbachev, Abel Aganbegyan, a admis au milieu des années 1980 que le taux de croissance soviétique per capita avait été de zéro pendant des années. Les classes dirigeantes stalinienne ont vu leur économie chutant toujours plus loin derrière les puissances impérialistes occidentales et faisant face à une classe ouvrière de plus en plus antagoniste. D’où leur tournant urgent vers la privatisation rampante et les réformes pseudo-démocratiques.

L’un des thèmes de notre livre est que l’effondrement économique du stalinisme résulte de tendances similaires à celles en vigueur en Occident. Les capitalistes impérialistes se méfient d’une répétition de la Grande Dépression des années 1930; un tel bouleversement ne ferait qu’exacerber les rivalités impérialistes existantes et saperait l’acceptation par la classe ouvrière de la domination capitaliste. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, ils ont eu recours à diverses formes d’intervention étatique dans l’économie pour amortir les crises de leur système et prévenir la dépression. Ces mesures ont conduit à l’accumulation d’une énorme bulle de capital fictif, qui commence à se dégonfler et qui contribue à la crise qu’elle était censée prévenir. (Voir notre brochure The Specter of Economic Collapse.)

L’ouverture des économies de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS à l’examen public a révélé que, encore plus que ce que l’on croyait antérieurement, les staliniens avaient vécu d’une manière parasitaire aux crochets de leurs propres capitaux ainsi que des ressources humaines et naturelles. Le capital fixe a été épuisé sans remplacement, la dégradation de l’environnement a été horrible, les travailleurs industriels avaient une espérance de vie significativement plus courte à l’Est. En Occident, la bulle de capital fictif découle en partie de l’échec à ne pas remplacer le capital fixe, comptant ainsi le capital dépensé en tant que plus-value. Bien que n’étant pas encore aussi omniprésente dans les pays occidentaux que dans l’Est, et pas aussi dévastatrice que dans le «tiers-monde» surexploité, cette tendance est typique du capitalisme un peu partout dans son époque de décadence.

Notre théorie désigne l’effondrement du stalinisme comme étant le précurseur des bouleversements économiques dans le monde capitaliste dans son ensemble. Une grande partie de l’extrême gauche en revanche a vu la chute du stalinisme comme un défaite mondiale historique pour le prolétariat qui pouvait donner un nouveau souffle à l’impérialisme occidental. Sans doute que les financiers occidentaux ont sucé beaucoup de plus-value aux travailleurs et aux ressources de l’Est. Mais après une orgie de dix années, les contradictions du système se profilent désormais avec encore plus de force.

Le rôle du prolétariat

La crise économique et les inégalités croissantes sous-tendent les événements qui commencèrent en 1989. La résistance ouvrière, notamment le soulèvement massif des travailleurs polonais de 1980-81, a sapé la confiance en soi de la classe dirigeante stalinienne et détruit son emprise sur la société – montrant une fois de plus le caractère central du prolétariat pour le progrès social dans l’époque actuelle, un enseignement fondamental du marxisme. Les comités de grève inter-entreprises (MKS) créé par les travailleurs polonais en août 1980 faisaient échos aux soviets russes de 1905 et 1917 (la base pour la prise du pouvoir d’État par le prolétariat en 1917), aux conseils ouvriers hongrois de 1956, et à de nombreux organismes similaires érigés chaque fois que les travailleurs entraient dans la lutte révolutionnaire contre leurs seigneurs capitalistes. (Les événements mémorables de la Pologne ont été décrits et analysés en profondeur dans les nos 10-16 de Socialist Voice, le prédécesseur de Proletarian Revolution.)

A travers le domaine stalinien, les luttes des travailleurs furent déclenchées par le besoin de la classe dirigeante d’intensifier l’exploitation, qui provient elle-même des lois du mouvement du système capitaliste découvertes par Marx. Comme notre livre l’explique, ces lois s’applique tout aussi bien au capitalisme étatisé de l’Est qu’aux sociétés capitalistes «normales» de l’Occident.

L’abandon de la propriété d’État, à l’Ouest comme à l’Est, reflète le fait que la propriété étatisée incarne en elle-même des éléments de gains de la classe ouvrière: c’est une entrave à l’exploitation totale dont les capitalistes ont besoin. La vague des projets de privatisation en Europe de l’Est, en Chine et dans l’ex-URSS était destinée à renforcer la domination capitaliste, tant au niveau international que national.

La classe ouvrière a infligé des coups décisifs aux staliniens haïs, mais même si les soulèvements passés ont pris sans équivoque des formes ouvrières (grèves, occupations d’usines, etc), dans les événements qui ont débuté en 1989, les travailleurs qui protestaient ont été dirigés par des éléments petits-bourgeois, dans certains cas des fonctionnaires staliniens dissidents. Comme nous l’écrivions au début de 1990:

Ces révolutions de masse sont des réalisations historiques, mais elles ne sont que des victoires partielles. Les gouvernements sont tombés, mais les relations sociales sous-jacentes de l’exploitation restent ....

Bien que la classe ouvrière ait été le muscle réel derrière le déracinement du stalinisme même lorsque d’autres forces sociales ont pris la tête, le danger est qu’ils seront pris au piège de devenir les partisans des réformateurs petits-bourgeois ....

L’Europe de l’Est est seulement au début du processus révolutionnaire. Dans les mois à venir, nous allons voir les gouvernements monter et tomber, incapables d’empêcher l’effondrement économique et faire face aux bouleversements de masse continuels. Toutefois, si la puissance économique de la bureaucratie et de ses nouveaux alliés réformistes et bourgeois occidentaux n’est pas brisée, les travailleurs de l’Europe de l’Est verront leurs révolutions se retourner contre eux, et ils deviendront les victimes d’une exploitation encore plus profonde qu’auparavant. («Revolution Sweeps East Europe» (Des révolutions balayent l’Europe de l’Est) , PR 36.)

Le facteur clé qui manquait était une direction révolutionnaire – un parti du prolétariat – qui pouvait clairement révéler la nature de classe et le rôle politique des staliniens et de ses oppositions réformistes et esquisser un programme pour montrer aux travailleurs la voie vers un authentique État ouvrier. Sans un tel parti, les luttes contre le stalinisme furent usurpées par des forces provenant des staliniens eux-mêmes et à partir d’éléments bourgeois que leur système en décomposition avait nourri.

Afin de préserver leur domination de classe face à une crise économique dévastatrice et à l’agitation de la classe ouvrière, des sections de la classe dirigeante manigancèrent une contre-insurrection, cédant une part du pouvoir économique et d’État à une aile bourgeoise «privée» en croissance. Dans plusieurs pays d’Europe orientale, les dirigeants ont détourné les mouvements populaires pour préserver leur domination de classe. Dans d’autres pays, y compris l’URSS, les transformations ont été préventives. Dans tous les cas, le système stalinien du capitalisme étatisé a cédé la place à un système hybride qui a permis à la classe dirigeante d’anéantir la plupart des vestiges des gains de la classe ouvrière qu’elle avait été contrainte antérieurement de conserver sous le faux nom de socialisme.

Par conséquent, en Russie et dans les autres États de l’ex-URSS, les travailleurs ont subi une catastrophe: des emplois manufacturiers ont disparu, des salaires furent impayés, les soins de santé ont été détruit et le taux de mortalité a augmenté rapidement. En Europe de l’Est, les conditions de vie des travailleurs se sont également détériorées, même si pas aussi fortement (excepté l’ex-Yougoslavie en proie à la guerre). Mais le terrible déclin du niveau de vie des travailleurs avait commencé bien avant la chute des régimes dirigés par le Parti communiste. Il y avait de graves pénuries de biens de consommation, les maladies causées par l’empoisonnement de l’environnement et l’alcoolisme étaient endémiques, la mortalité infantile augmentait et l’espérance de vie diminuait. Les changements de régime de 1989-91 n’ont pas initié ces horreurs, ils ont ajouté plus.

Des révolutions politiques

Le fait que les sociétés staliniennes soient devenues ouvertement capitalistes sans que l’État n’ait été brisé confirme notre analyse selon laquelle la nature de classe de l’État n’a pas changé – le stalinisme était capitaliste dès le départ. (Voir Une nouvelle classe dirigeante provenant de l’ancienne) Ainsi, les transformations de 1989-91 qui ont consolidé les nouveaux régimes ont été des révolutions politiques: le système d’exploitation sous-jacent est resté capitaliste, mais le pouvoir dominant au sein de la classe dirigeante s’est déplacé vers une aile en chevauchement de la même classe. Les nouveaux régimes ont retourné la dynamique de la lutte de masse contre les masses elles-mêmes et ont détruit ce qui restait des gains que les travailleurs avaient conservé pendant des décennies, même dans des conditions terriblement déformées.

Dans cette optique ils ont complété certains pas que la contre-révolution sociale stalinienne avait été incapable de mener à bien quand elle a détruit l’État ouvrier soviétique dans les années 1930. Contrairement au démantèlement de l’appareil d’État à l’époque, lors du renversement politique de 1989-91, l’appareil d’État et le personnel sont demeurés sensiblement les mêmes. La grande armée de l’Union Soviétique, cinq millions de soldats stationnés de Berlin à Vladivostok, n’ont pas bougé pour maintenir, soit l’Empire soviétique en 1989 ou l’Union Soviétique elle-même en 1991. C’est parce qu’elle est demeurée le bras de la classe dirigeante qui s’efforçait d’embourgeoiser ses méthodes de domination. En Pologne, le ministre de la Défense désigné par le régime de coalition entre les staliniens en recul et l’aile du mouvement Solidarité dirigée par Lech Walesa, était le général Florian Siwicki. Il était impatient que ses forces armées s’adaptent alors que la «forme de l’État» changeait:

Maintenant, il dépend de chacun d’entre nous, tous les Polonais, si nous serons à la hauteur des défis de l’avenir.” Il s’agit notamment de la formation d’une forme démocratique, parlementaire et civile de l’Etat. En soutenant les changements qui ont lieu dans l’État , nous sommes aussi en train de changer la forme de l’armée. (New York Times, le 29 août 1989.)

L’État «démocratique, parlementaire et civil» est un mot de code pour la propriété privée. L’appareil militaire pouvait s’adapter si facilement parce que l’ancien régime, comme le nouveau, défendait l’exploitation capitaliste. Que cela se produise principalement par l’État ou la propriété privée est d’une importance secondaire. Dans les deux cas, l’État appartient aux exploiteurs et existe pour réprimer les travailleurs.

La Chine a elle aussi subi une transformation majeure du capitalisme étatisé vers une combinaison de capitaux privés et d’État. Le mouvement de Tienanmen en 1989 allait bien au-delà de son aspect étudiant évident pour atteindre profondément la classe ouvrière. Son écrasement par la force militaire a permis au régime de mener à bien les «réformes» qui n’avaient pas pu être imposées précédemment. La bureaucratie du Parti communiste maintenait son emprise sur l’État et a organisé la croissance d’une économie non-étatique substantielle avec des attaques cinglantes contre les emplois, les revenus et les droits des travailleurs dans les industries étatiques.

La clé: la direction révolutionnaire

Les «révolutions» au nom de la liberté ont dévasté la classe ouvrière et les ont conduit dans une période de passivité relative. Les travailleurs est-européens ont montré leur puissance dans de nombreux soulèvements contre le stalinisme – à partir de Berlin-Est en 1953 à Gdansk en 1980 – et ont suscité partout l’espoir parmi les combattants de la classe ouvrière qu’ils pourraient trouver le moyen de renverser les régimes staliniens et de les remplacer par des États ouvriers authentiques. Qu’aucun parti ouvrier révolutionnaire n’ait été construit est dû en grande partie au fait historique que les staliniens, dans les purges massives qui ont aidé à mettre à mort l’État ouvrier soviétique dans les années 1930, ont éliminé les restants de la direction qui appuyait toujours les objectifs de la révolution d’Octobre 1917. De la même manière, en Europe de l’Est dans les années 1940, les staliniens qui menèrent l’armée soviétique au pouvoir éliminèrent ces authentiques révolutionnaires qui avaient survécu à la conquête nazie.

Une part importante du blâme pour l’échec d’une alternative révolutionnaire du prolétariat à émerger incombe également à ces organisations qui se réclamaient du trotskysme. Leurs capitulations en théorie et en pratique, signifiait qu’aucune force sérieuse s’exprimait et luttait pour le programme de la révolution ouvrière sur la scène mondiale. Dans les années 1960 et 1970, beaucoup d’entre elles se sont tournées vers les mouvements étudiants, les mouvements de guérilla basés sur la paysannerie et / ou des forces sociales-démocrates et staliniennes pour des avancées révolutionnaires. Ils ont abandonné ces forces en raison de leur échec lamentable, mais leurs positions de classe sous-jacente et les théories qui les reflètent restent les mêmes jusqu’à ce jour. Certains des groupes pseudo-trotskystes ont des filiales en ex-URSS et en Europe de l’Est et ont été en mesure de jouer un rôle petit mais désastreux. Cyniques au sujet de la capacité de la classe ouvrière de prendre le pouvoir en son nom propre, ils se débrouillèrent tant bien que mal avec les théories qui voyaient les vieux régimes staliniens ou bien les nouveaux régimes «démocratiques» comme étant progressistes.

Ainsi les travailleurs en URSS et en Europe de l’Est n’ont vu aucune direction révolutionnaire alternative au stalinisme ou au capitalisme traditionnel. Par conséquent, leur révolte les a poussés dans les bras des dirigeants de la nouvelle bourgeoisie post-stalinienne, avant de pouvoir générer une nouvelle vision révolutionnaire mondiale et une direction d’avant-garde. Les marxistes authentiques ne glorifient pas la conscience immédiate de la classe ouvrière. Le programme communiste peut ne pas être populaire à un moment donné, mais ce n’est pas une idéologie artificielle: elle découle des besoins objectifs du prolétariat. Alors que les luttes de classes s’approfondissent, les travailleurs les plus avancés deviennent conscients de leur programme et de leurs tâches et s’organisent eux-mêmes dans le noyau d’un parti révolutionnaire prolétarien; ils fournissent ainsi une direction pour le reste de leur classe et les autres couches opprimées de la population. La création d’un parti prolétarien est la seule «étape» qui est une condition sine qua non pour une véritable révolution socialiste.

La raison pour débattre de la nature de classe de l’Union Soviétique n’est pas de marquer des points théoriques, mais de rétablir le rôle central pour le socialisme du prolétariat conscient et révolutionnaire – une classe qui lutte consciemment pour créer une nouvelle société. Les gauchistes qui se tournent vers d’autres classes, vers des sauveurs d’en haut, ne rejetent pas seulement l’enseignement central du marxisme. Ils se préparent à tromper les travailleurs en suivant les néo-staliniens et les sociaux-démocrates, dont le travail consiste à les organiser pour une oppression et une exploitation accrues.

Le Coup d’État d’Eltsine

Les marxistes qui croient que l’URSS et ses États alliés étaient non-capitalistes avant 1989 mais sont capitalistes maintenant, doivent se poser la question pour chaque pays: Quand la contre-révolution s’est-elle produite? Nous avons déjà mentionné que les trotskystes orthodoxes dans les années 1940 avaient eu un problème considérable avec la «question de la date» de l’époque: Quand les pays d’Europe de l’Est, la Chine, etc sont devenus des États ouvriers? Le problème inverse après 1989 a été tout aussi pénible.

En URSS, le contre-coup d’État d’Eltsine a été l’événement clé dans l’éviction du Parti communiste du pouvoir. Dans ce conflit entre des ailes de la classe dirigeante capitaliste bureaucratique, les staliniens «jusqu’au-boutistes» dirigés par le vice-président Guennadi Yanaev ont tenté de s’emparer du pouvoir exclusif et de mettre fin au délicat équilibre du pouvoir entre eux et les partisans de la privatisation plus rapide. Le coup d’État posait un grave danger à la classe ouvrière, parce que ses dirigeants avaient annoncé une interdiction immédiate des grèves et l’annulation des gains démocratiques limités concédés par Gorbatchev lors de la campagne de «glasnost» (transparence) dans la deuxième moitié de la décennie précédente. Les travailleurs révolutionnaires devaient donc s’opposer au coup d’État et s’aligner tactiquement dans un bloc militaire avec Eltsine pour vaincre la menace immédiate aux intérêts des travailleurs.

En tant que question de principe les révolutionnaires ne peuvent donner aucun soutien politique à l’une ou l’autre aile de la classe dirigeante capitaliste. Mais nous pouvons tactiquement et momentanément défendre un côté dans une guerre civile ou un conflit armé si nous jugeons que l’autre côté est la menace la plus aiguë pour la classe ouvrière. C’était la méthode des bolcheviks en défendant le réactionnaire Kerenski contre le réactionnaire Kornilov en 1917, et aussi de Trotsky en défendant la République espagnole bourgeoise contre les fascistes en 1936. Notre position était de donner «un soutien militaire» à Boris Eltsine. Autrement dit, nous étions pour que les travailleurs pointent leurs armes contre Yanaev à ce moment, tout en avertissant que la classe ouvrière devrait se retourner contre Eltsine peu après. En effet, après que le coup d’État ait été défait Eltsine et Gorbatchev ont signé un pacte qui, entre autres choses, a tenté d’interdire les grèves. Et Eltsine, comme Yanaev, a exprimé l’opinion que Pinochet au Chili était son modèle.

Quand la révolte des jusqu’au-boutistes s’est terminée en queue de poisson, la politique d’équilibrage de Gorbatchev s’est effondrée et Eltsine a émergé au sommet. Son triomphe a inauguré une période de pillage capitaliste sans fard, qui a enrichi une poignée d’individus et a appauvri des millions d’autres. Même si l’équipe de Yanaev était également dévouée aux réformes du «libre marché», leur évolution escomptée était plus lente. Donc, tout défenseur de la théorie des États ouvriers déformés aurait dû défendre le côté de Yanaev, malgré sa menace immédiate pour écraser les travailleurs – en tant que question de principe, et pas seulement tactique. Pourtant, peu l’ont fait. La plupart ont appuyés Eltsine sur des bases démocratiques douteuses, prouvant une fois de plus que leur théorie des États ouvriers n’est que du verbiage vide de sens.

Cliff et Socialisme International

Pour pratiquement tous les théoriciens du stalinisme, leur incapacité à anticiper sa chute ne les a pas empêché d’affirmer que l’effondrement a confirmé leurs vues. Nous allons prendre un certain nombre de théories et de courants marxistes en vue de contester leurs prétentions.

En 1990 Chris Harman, l’acolyte de Tony Cliff, a décrit comme suit la chute du stalinisme:

La transition du capitalisme d’État au capitalisme multinational n’est ni un pas en avant, ni un pas en arrière mais un pas de côté. Le changement ne concerne que le passage d’une forme d’exploitation à une autre forme pour la classe ouvrière dans son ensemble, même si certains groupes individuels de travailleurs ... se trouvent mieux placés pour améliorer leurs conditions et d’autres ... trouvent que leur conditions ont empiré. (International Socialism n° 46, 1990.)

En 1998, Cliff a publié un article intitulé «L’épreuve du temps» pour faire valoir que sa théorie du capitalisme d’Etat avait été justifiée. Dans ça il a répété l’analyse du «pas de côté» . Il était vagument concevable qu’en 1990 des observateurs puissent avoir ignoré la menace pour les droits et le niveau de vie de tous les travailleurs qui a été entraînée par la privatisation et le pillage des biens publics. Mais pas à la fin de la décennie. Cliff et cie. n’ont jamais accepté qu’un quelconque gain de la classe ouvrière ait survécu sous le stalinisme et ont donc regardé avec complaisance quand ces gains furent liquidés.

La transition vers un nouveau système par les staliniens eux-mêmes a prouvé que la théorie de la TSI était fausse dans tous ses détails essentiels. Cliff a expliqué l’économie stalinienne comme étant en fait une entreprise capitaliste unique, sans la loi de la valeur ou la concurrence fonctionnant intérieurement. (Nous avons dit dans notre livre que la théorie de Cliff en fait n’était pas une théorie du capitalisme, mais était plutôt le collectivisme bureaucratique déguisé.) Ainsi pour Cliff, les crises cycliques de surproduction avaient été écarté. Cliff a cité le théoricien soviétique des premières années Nikolaï Boukharine, qui estimait que la force économique motrice sous le capitalisme d’État est la consommation des besoins de la classe dominante; puisque ces besoins sont physiquement limités, la croissance économique dans un tel système stagnerait.

Cliff a argumenté, cependant, que l’économie soviétique avait évité la «solution Boukharine» parce qu’elle avait une force motrice supplémentaire, son besoin pour la production d’armes. Ce fût «un moyen d’acquérir de nouveaux capitaux et de nouvelles possibilités d’accumulation.» (Le capitalisme d’État en Russie, édition de 1988, pp.243-244.) Cliff voyait les dépenses d’armes comme un stimulant économique énorme plutôt qu’une injection temporaire dans le bras; en réalité il s’agissait d’une perte considérable pour toute économie, en particulier pour une qui état en stagnation. Non seulement les biens de consommation, mais aussi les biens d’équipement étaient à la traîne derrière les taux en vigueur en Occident. Des tentatives vigoureuses mais condamnées à l’échec de la part de l’Union Soviétique pour se maintenir dans la course aux armements avec les États-Unis ont été le coup de grâce final qui a forcé l’effondrement du système. (Une critique des différentes versions de la théorie de la TSI sur «l’économie permanente d’armements» se trouve dans le chapitre 7 de notre livre.) L’échec de Cliff à voir les lois internes et les contradictions du stalinisme, menant à une faiblesse relative et à l’anarchie économique, découlait de la notion qu’elle représentait un stade supérieur du capitalisme, que la planification consciente était effectivement la force motrice. Il a écrit dans son ouvrage théorique principal, initialement publié en 1955:

D’une économie planifiée et étatisée on ne peut revenir aux étapes d’une économie anarchique basée sur la propriété privée .... Le remplacement de l’industrie étatisée à grande échelle par l’industrie privée serait une régression technique et économique. (Le capitalisme d’État en Russie, p.273.)

Ces dernières années, les théoriciens cliffistes ont été forcés de reconnaître le fait de la crise du stalinisme. Mais ils n’ont pas compris que le système était en danger mortel. (Voir Leurs prédictions et les nôtres) L’erreur fondamentale de la théorie de la TSI était qu’ils ne voient pas que le stalinisme était une forme bâtarde de capitalisme déformé par son incapacité à détruire les principaux acquis révolutionnaires de la classe ouvrière. Ils le voyaient seulement comme une forme extrême du capitalisme et étaient aveugles face à la faiblesse fondamentale du système tout comme à la réalité que les travailleurs avaient certains vestiges de 1917 à défendre.

Les défenseurs de la théorie des États ouvriers déformés

Les principaux théoriciens de l’État ouvrier déformé voyaient également le stalinisme comme étant stable, dans leur cas en argumentant que les «États ouvriers» n’étaient pas confrontés à la «restauration»du capitalisme. En soutenant que le capitalisme n’était pas un danger, Mandel et ses co-penseurs pouvaient se permettre de s’acoquiner avec les réformateurs libéraux du stalinisme – et donc d’induire en erreur les ouvriers avancés qui les écoutaient.

Pour toute la période entre la Seconde Guerre mondiale et la chute du stalinisme, Mandel et Cliff ont engagé un débat incessant sur la nature du stalinisme en tant que théoriciens de premier plan dans le large milieu qui se définissait comme adhérent ou sympathisant au trotskysme. Que leurs analyses respectives se soient avérées fausses d’une manière désastreuse reflètent en dernière analyse la perspective petite-bourgeoise du milieu. Comme pour le prouver, les deux tendances se sont placées à la remorque des sauveurs petits-bourgeois dans la lutte contre le stalinisme à l’époque de son effondrement. Le meilleur exemple est la Pologne, où le SU de Mandel et la TSI de Cliff ont tous les deux appuyé le gouvernement des staliniens et des anciens conseillers de Solidarité quand il a administraté l’austérité capitaliste post-stalinienne en 1990. (Voir «The Left and East Europe», dans PR 36.)

Certains trotskystes orthodoxes ont fait l’argument que les reculs considérables infligés aux travailleurs dans les pays post-staliniens prouvent que ces États ont modifié leur caractère de classe. Mais cette affirmation va directement à l’encontre de la théorie marxiste de l’État. Si les États staliniens avaient été des États ouvriers, quoique déformés, les renverser aurait dû signifier la destruction de l’appareil d’État. (Voir Et une contre-révolution pacifique a eu lieu?) Comment les mêmes forces armées peuvent défendre maintenant la propriété capitaliste, quand elles ont défendu la propriété «prolétarienne» juste auparavant? Et pourquoi faut-il qu’une défaite majeure de la classe ouvrière exige une défaite sociale et non pas seulement politique? La montée des Nazis au pouvoir en Allemagne en 1933, a détruit violemment les institutions ouvrières, mais c’était une contre-révolution politique à l’intérieur de la boussole de la domination capitaliste.

En outre, si les États staliniens étaient des États ouvriers, pourquoi les gouvernants, qui selon la théorie de l’État ouvrier déformés avaient leurs propres intérêts de caste inhérents dans la défense de la propriété d’État, choisirent plutôt de privatiser les biens de l’État? Pourquoi les disputes parmi les dirigeants staliniens se produisaient au sujet de la vitesse de désétatisation et non pas sur l’objectif lui-même?

Les adeptes des État ouvriers déformés ont toujours été tiraillés entre deux courants opposés. D’un côté, des tendances comme Workers World aux Etats-Unis et les Spartacistes défendaient les staliniens contre les travailleurs au nom de la défense des «États ouvriers». De l’autre côté, Mandel et cie. ont présenté les «dissidents» réformistes petits-bourgeois qui ont induit en erreur l’organisation ouvrière Solidarité comme d’authentiques dirigeants de la classe ouvrière. La condamnation la plus éloquente de l’ensemble du milieu «orthodoxe» est que, tout au long du demi-siècle de leurs «États ouvriers déformés», aucun d’entre eux n’a écrit une analyse théorique sérieuse, encore moins un livre, pour expliquer les lois du mouvement d’une telle société et justifier une désignation qui a de telles contradictions évidentes. La théorie n’avait pas de guide pour l’action parce qu’il n’y avait pas de théorie.

La Tendance Spartaciste

Les spartacistes ont eu un moment particulièrement difficile pour déterminer quand «l’État ouvrier» soviétique avait été perdu. Ils ont annoncé de façon rétroactive à la fin de 1992 que la contre-révolution avait triomphé quelque temps auparavant, mais le moment exact est resté vague. (Voir «Spartacists Terminate Russian Workers State Not with a Bang but a Whimper» dans PR 43.) Une «théorie» qui permet à ses promoteurs de fermer les yeux sur la chute d’un État «ouvrier» – le pays de la révolution bolchevique, rien de moins – lorsque les événements décisifs se produisent sous les yeux de tout le monde, est inutile pour la classe ouvrière.

Les spartacistes ont appuyé les staliniens jusqu’au-boutistes contre les ouvriers quand ils défendaient le Mur de Berlin (qui a été utilisé pour emprisonner les travailleurs est-allemands, qui se faisaient tirer dessus s’ils tentaient de le traverser) et ont applaudit la répression des staliniens polonais contre dix millions de travailleurs en 1982 . Ils n’auraient pas du avoir de problème à soutenir le coup d’Etat de Yanaev contre Gorbatchev en 1991. Mais cette fois là, ils ne prirent pas position. Ils en sont venus à des contorsions théoriques pour éviter de le faire, pour la raison que cela les aurait conduit à admettre que leurs grands rivaux, la Tendance Bolchevique Internationale (TBI), qui soutenaient Yanaev, avaient «raison» alors qu’ils avaient tort. Malgré toute leur fanfaronnade sur leur supposée allégeance au programme bolchévik, les spartacistes sont souvent motivés par des besoins organisationnels mesquins.

L’approche de la TBI, quoique logique d’un point de vue pro-stalinien, n’est pas plus cohérente. Le raisonnement qui a conduit la TBI à défendre Yanaev contre Eltsine aurait également dû les conduire à défendre Ceausescu en Roumanie, en décembre 1989 – non seulement contre les réformateurs staliniens qui prirent le pouvoir, mais aussi contre le soulèvement populaire que Ceausescu a sauvagement réprimé. Après tout, ce sont les réformateurs qui ont détruit «l’État ouvrier», en affaiblissant la machine d’État stalinienne, et c’était Ceausescu qui, malgré tous ses crimes – y compris un dévouement à toute épreuve à payer les dettes de la Roumanie à l’impérialisme, au prix d’affamer la population – qui voulait à tout prix préserver la propriété d’État afin de défendre son propre pouvoir et butin. Mais en défendant sa propriété il défendait la propriété nationalisée, et donc aux yeux de la TBI et de la SL, «l’État ouvrier». D’une manière opportuniste, car elle les aurait conduit à défendre un boucher stalinien particulièrement odieux, ni les spartacistes ni la TBI n’ont adopté la position conséquente avec leurs principes pro-staliniens.

Plus récemment, les spartacistes ont essayé une fois de plus de trouver une explication pour la disparition des «États ouvriers» staliniens. «Six décennies de mauvaise gestion bureaucratique ... avait produit un profond cynisme politique parmi les masses laborieuses de l’Union Soviétique», écrivent-ils, accusant ainsi la classe ouvrière tout en enjolivant le régime contre-révolutionnaire comme étant de la «mauvaise gestion». (Workers Vanguard, le 6 août 1999.) Pour couvrir leur propre histoire d’admiration de la planification «stalinienne», ils ont prétendu d’une manière mensongère avoir compris depuis longtemps le retard économique soviétique à l’égard de l’Occident:

En 1960, Khrouchtchev a défié l’Occident capitaliste. «Nous allons vous enterrer», en proclamant que l’URSS non seulement atteindrait la domination mondiale sur le capitalisme occidental, mais aussi «le plein communisme» en 20 ans. Il exprimait ici la fausse conscience de l’oligarchie du Kremlin.

Mais en fait, les spartacistes eux-mêmes ont proclamé haut et fort la supériorité économique du stalinisme. Comme Mandel et tant d’autres co-penseurs adeptes de la théorie des États ouvriers, ils avaient soutenu l’absurdité palpable que l’économie soviétique était libre de crises systémiques et qu’elle «assurait la croissance rapide et constante des forces productives» – et même que la structure sociale de l a Russie sous Lénine était «beaucoup plus favorable à la restauration capitaliste» que sous Brejnev. (Citations de la brochure des Spartacistes de 1977, Why the USSR is Not Capitalist, pp.59, 90.) Une autre prédiction brilliante!

Ils ont plus particulièrement vanté le fait que l’URSS a eu un taux de croissance annuel de 18 pour cent en 1974-5, à une époque où le monde capitaliste était plongé dans la dépression. (p.58.) Ce chiffre miraculeux était un mensonge complet, même le Kremlin n’a pas réclamé une telle réalisation. Nous avons contesté le chiffre précis et tout le portrait de supériorité de l’économie soviétique, en citant les taux de croissance déclinants de l’URSS, dans notre Socialist Voice No. 4; ils n’ont jamais répliqué ou corrigé le mensonge. Maintenant ils rejetent leurs propres affirmations comme étant de la «fausse conscience» stalinienne. Pour une fois, ils ont raison.

Workers Power (LICR)

Le groupe Workers Power (Pouvoir Ouvrier) en Grande-Bretagne, l’épine dorsale de la Ligue pour une Internationale Communiste Révolutionnaire (LICR), est l’une des quelques tendances adeptes de la théorie des États ouvriers qui tente de justifier sa politique sur la base de la théorie, nous avons donc analysé et disséqué leur point de vue à plusieurs reprises. (Sur le stalinisme, se référer aux numéros 20, 21, 48 et 49 de notre revue.) Mais malgré toutes ses tentatives de théorie, ce qui distingue la LICR par-dessus tout, c’est sa prédilection pour changer sa position sur des questions après examen.

Quand l’URSS s’est effondrée, la LICR s’est abord opposée à l’indépendance des républiques soviétiques non-russes de crainte que ça l’affaiblisse «l’État ouvrier soviétique»; elle a donc appuyé l’agression de Gorbatchev contre l’Azerbaïdjan au début de 1990. Mais lorsque Moscou a sévi contre la Lituanie en 1991, la LICR a fait volte-face et s’est prononcée pour l’autodétermination, même si la «contre-révolution bureaucratique conservatrice» russe contribuait à empêcher les changements qui étaient décisifs pour la restauration du capitalisme! Quelques années plus tard, la LICR a changé d’avis plusieurs fois au sujet de l’autodétermination de la Bosnie pendant la guerre en Yougoslavie. (Voir PR 43.)

Sur la nature de classe des États post-staliniens, la LICR a fait récemment son plus grand revirement, et a probablement récolté pour tous les temps la coupe mondiale de la vacillation centriste. Lorsque les régimes ouvertement bourgeois ont pris le pouvoir,la LICR a refusé d’accepter que les États étaient capitalistes et ils ont insisté que c’était seulement des révolutions politiques qui s’étaient produites au sein des États ouvriers. Ils ont qualifié le résultat d’«États ouvriers moribonds». Voici comment ils ont expliqué ce que ça prendrait pour les convaincre que les sociétés étaient capitalistes:

Nous avons esquissé les principaux changements structurels qui seront nécessaires pour que le capitalisme soit finalement imposé à ces pays en transition avancée, ou États ouvriers moribonds. Comment pourrions nous – après coup – reconnaître le moment où cela a été effectivement réalisé?

À travers le prisme trompeur des indicateurs économiques bourgeois certaines caractéristiques devraient être observables, par exemple, lorsque la production nationale se remet rapidement des profondeurs de son marasme actuel en Europe de l’Est jusqu’au point où un cycle net de reprise est évident: quand cette croissance est non inflationniste et qu’elle accomplit une réduction des déficits budgétaires. (Trotskyist International No. 9, 1992.)

Nous avions commenté en guise de réponse:

WP et la LICR ont amené leur théorie de la loi de la valeur jusqu’à l’absurdité .... Le capitalisme triomphe lorsque l’économie fait un bond en avant décisif de son marasme de l’époque de l’ «État ouvrier» – ce qui veut dire pour la LICR que le capitalisme permet de résoudre la crise économique dont l’État prolétarien ne peut s’occuper! Si on les prend au sérieux, cela devrait signifier que le capitalisme est progressiste. (PR 48, 1995.)

Nous avions même encore plus raison à propos de l’absurdité de cette théorie que nous pensions, car juste après ce passage, nous avons écrit: «Peu importe ce qui était escompté, pour la LICR la défense des États ouvriers signifie clairement la défense de l‘arriération». Mais nous n’avions pas compris à l’époque que pour la LICR, les «États ouvriers moribonds» étaient des États que les travailleurs révolutionnaires n’étaient pas obligés de défendre en temps de guerre. Ainsi, non seulement c’était des «États ouvriers» que la classe ouvrière n’a jamais créé et dans lesquel les travailleurs n’avaient pas le pouvoir d’État; il n’y existait même pas de restants d’éléments socialistes à défendre. La LICR les appelait des États ouvriers seulement pour éviter de les reconnaître comme étant capitalistes. Notre observation que les théories des États ouvriers déformés équivalaient en fait à des théories d’un tiers système a été corroborée encore une fois.

Il ya deux ans, la LICR a changé complètement de ligne. Ils ont rejeté le terme d’«États ouvriers moribonds» et l’ont remplacé par «États bourgeois restaurationnistes». De plus, ils ont caractérisé leur théorie antérieure comme étant «radicalement fausse et erronée», «non dialectique», «confuse» et «absurde». (Capitalist Restoration and the State, novembre 2000.)

La nouvelle théorie de la LICR signifie «que les pays autrefois staliniens, dans lesquel l’économie ne fonctionne pas encore selon des principes totalement capitalistes, ne sont pas nécessairement des États ouvriers de n’importe quel type. Le facteur déterminant n’est pas les rapports de propriété qui prévalent, mais plutôt la classe et le système économique que le pouvoir d’État encourage et défend». En URSS, par exemple, le changement a eu lieu en 1991 quand Eltsine a mis en place son gouvernement. Non seulement la LICR ne prévoit pas la fin d’un «État ouvrier» ou en prend note quand ça se produit; ils n’ont même pas remarqué sa perte pendant près d’une décennie. (Une attitude nonchalante et insouciante à l’égard de ce que devrait signifier les réalisations les plus élevées de la classe ouvrière est typique des jeux académiques, pas de la politique marxiste.) La LICR a une section en Ukraine, dont les membres ouvriers, s’il y en a, ont du être déçus d’apprendre en 2000 qu’ils ne faisaient plus partie de la classe dirigeante nominale, quoique moribonde.

La LICR a également dû repenser rétroactivement sa désignation de la date à partir de laquelle les États est-européens sont devenus des «États ouvriers» après la Deuxième Guerre mondiale. Leur ligne précédente a défini le point tournant lorsque les économies furent totalement étatisées (c’est-à-dire en 1950-51). Ils disent maintenant que ce fût au moment où «les gouvernements et les États ont commencé à progresser de manière décisive contre le capital et le capitalisme, et à créer des économies bureaucratiquement planifiées sur le modèle de Staline, c’est-à-dire en 1948-49».

Ceci ne résout pas vraiment les problèmes clés, que nous avons fait ressortir dans les nos 20 et 21 de PR. Ni en 1948-49, ni en 1950-51 il n’y eu de changement dans l’appareil d’État – ce n’était pas des révolutions. Les seuls changements pertinents au niveau du pouvoir d’État se sont produit plus tôt, lorsque l’armée soviétique a conquis l’Europe de l’Est en 1944-45. Mais alors, les régimes installés étaient clairement des fronts populaires capitalistes dirigés par les staliniens avec des partis ouvertement bourgeois. Selon soit la nouvelle ou l’ancienne théorie de Workers Power, ces régimes capitalistes auraient transformés leur propre État de bourgeois à prolétarien. Autrement dit, des États capitalistes pourraient réaliser la révolution socialiste. Cette parodie de théorie se produit parce malgré toutes ses récentes autocritiques, la LICR n’a pas réglé la contradiction réelle dans chaque version de sa théorie: des «États ouvriers» sans classe ouvrière.

Le collectivisme bureaucratique

La théorie du collectivisme bureaucratique aurait du disparaître suite à l’adaptation ouverte de Shachtman à l’impérialisme; elle a survécu dans une forme gauchisante aux États-Unis parmi les Independent Socialists (Socialistes Indépendants) de la fin des années 1960 jusqu’au groupe Solidarité aujourd’hui. Mais ils n’avaient pas compris quoi que ce soit au fonctionnement du système stalinien qu’ils prétendaient décrire. (Voir Robert Brenner, cité dans Leurs prédictions et les nôtres)

En Grande-Bretagne, la tendance Workers Liberty dirigée par Sean Matgamna a fait renaître le collectivisme bureaucratique. En 1998 Matgamna a édité un recueil de textes écrits par Shachtman et d’autres penseurs du collectivisme bureaucratique, en le préfaçant par une introduction de 150 pages de son cru. L’objectif de Matgamna est de montrer que Trotski avait mal compris la question russe tandis que Shachtman et cie. avaient fondamentalement raison.

Néanmoins, Matgamna ne trouve rien de ses prédécesseurs théoriques pour expliquer l’effondrement du stalinisme. En effet, il est forcé de conclure:

Ils avaient une mauvaise perspective globale du stalinisme. De notre point de vue il est clair que Trotsky, puis Shachtman jusqu’en 1946 ou 47, ont eu raison de considérer le phénomène stalinien comme une aberration dans la longue courbe de l’histoire. Il est compréhensible que la propagation du stalinisme après 1944 à plus d’un sixième de la Terre devait conduire Shachtman à une mauvaise compréhension. Néanmoins, il est clair maintenant que le système stalinien a émergé en tant que parallèle au capitalisme, et non comme son successeur. C’étaient des impasses historiques. (The Fate of the Russian Revolution: Lost Texts of Critical Marxism, Vol.1, pp.155-6.)

Matgamna plus fondamentalement est d’accord avec Shachtman non pas dans son analyse spécifique de la Russie, mais dans le fait qu’il favorisait l’Occident pendant la Guerre froide:

Dans la période de l’après-guerre mondiale où l’URSS était la deuxième grande puissance mondiale, la reconnaissance que les États-Unis et l’Europe occidentale – le capitalisme avancé – était le plus progressiste des deux camps en compétition, celui qui a donné les possibilités les plus riches, la plus grande liberté, le plus de marge de manoeuvre, était, je crois, un élément nécessaire du rétablissement de l’équilibre marxiste de la politique socialiste. (p.145.)

Le capitalisme occidental, cependant, c’est l’impérialisme. Et dans le monde dans son ensemble, les possibilités qu’il a donné aux masses des pays autrefois coloniaux ne furent guère riches ou gratuites. Il y a quinze ans, cette revue a fait observer que Matgamna (évidemment sans le savoir) n’était pas seulement passé de sa théorie d’autrefois des États ouvriers déformés vers le collectivisme bureaucratique; il avait aussi adopté un cynisme extrême envers la capacité révolutionnaire de la classe ouvrière et s’était adapté profondément au réformisme pro-impérialiste. Par exemple, il a adopté une position neutre lors de la guerre impérialiste de la Grande-Bretagne contre l’Argentine au sujet des îles Malouines en 1982. (Voir “Where are the Matgamnaites Going?” dans PR no.28, ainsi que “Malvinas War Tests Leftists” dans Socialist Voice no. 17.) Dans son livre Matgamna déplore les capitulations les plus ouvertes de Shachtman à l’impérialisme: le soutien aux attaques des Etats-Unis contre Cuba et à la guerre contre le Vietnam. Mais sa propre adaptation va dans la même direction.

Un autre courant américain du collectivisme bureaucratique écrit dans la revue New Politics, dont le co-rédacteur en chef, Julius Jacobson, a tenté d’expliquer la chute du stalinisme. Lui aussi a dû faire face au dilemme classique: si l’URSS n’était pas capitaliste avant 1991, alors comment l’ancienne classe dirigeante s’est tranformée en la nouvelle? Jacobson a amené sa théorie jusqu’à sa conclusion logique:

Dans la République de Russie – comme dans la plupart des nations de l’URSS démembrée – il y a l’anomalie, tragique et burlesque, d’éléments de premier plan de l’ancienne classe dirigeante communiste, poussés par des instincts personnels et sociaux de survie, se déchiquetant les uns les autres alors qu’ils se bousculent et font de gros efforts pour se métamorphoser en comité exécutif et en l’élite financière d’une bourgeoisie crée artificiellement et profondément anticommuniste. Un genre unique d’une «lutte des classes» unidimensionnelle dans laquelle une classe dirigeante se bat avec acharnement pour se renverser. (New Politics, hiver 1995.)

L’absurdité d’une classe dirigeante se renversant elle-même est dictée par la nécessité de voir une classe en remplacer une autre alors que les deux se composent essentiellement des mêmes personnes. L’idée qu’il s’agit d’une «lutte des classes» (même si c’est entre guillemets pour se moquer) minimise la véritable lutte des classes en cours entre patrons et travailleurs. Mais d’ignorer de tels faits mineurs est inévitable pour toute théorie qui ne fonde pas son analyse de classe sur les rapports d’exploitation entre les dirigeants et les producteurs.

La «question russe» n’a jamais été uniquement un débat sur la description correcte du système stalinien. Elle est au c?ur de la compréhension par les travailleurs révolutionnaires du rôle de leur propre classe en créant une nouvelle société qui peut mettre un terme à la misère que tant de millions de personnes endurent sous le capitalisme. La révolution ouvrière russe de 1917 a été une réussite exceptionnelle dans l’histoire de 150 ans de notre classe. La chute du stalinisme a été un contrecoup tordu de cette réalisation, car la principale raison de l’effondrement fût le besoin désespéré de la classe dirigeante capitaliste étatisée de démanteler les gains restants des travailleurs.

Trotsky disait souvent de l’Union soviétique que ceux qui ne pouvaient défendre les acquis du passé de la classe ouvrière ne pouvaient pas contribuer éventuellement à en réaliser de nouveaux. La même chose est vraie pour ceux qui ne peuvent pas les comprendre.


Une nouvelle classe dirigeante provenant de l’ancienne

La régression de l’économie soviétique vers la désétatisation était déjà bien engagée avant que Eltsine et même Gorbatchev prennent le pouvoir. Les responsables en étaient des membres influents de la bureaucratie déjà-existante au pouvoir. En voici une description:

Dans les années 1980, les responsables locaux de l’économie nationale étaient en bonne voie de devenir des propriétaires de facto – les «détenteurs d’enjeux», comme la littérature académique les appelle avec délicatesse. Pendant ce temps, la société dans son ensemble était de moins en moins étroitement contrôlé. Une économie de l’ombre était en forte croissance, hors du contrôle de l’État. Pratiquement tous les Russes achetèrent des biens privés et des services «sous la table», ce qui veut dire à travers un marché noir d’amis et de connexions. Il y avait déjà des millionnaires clandestins, et ils étaient la proie des bandits de la mafia. ...

Le deuxième événement révolutionnaire fût le transfert massif des richesses de l’État dans des mains privées. En l’espace de quelques années – en commençant autour de 1988 – des centaines de milliards de dollars affluèrent littéralement à partir des biens d’État vers des entrepreneurs et des compagnies privés , la plupart d’entre eux reliés en quelque sorte aux anciens ministères et entreprises d’État . Une classe d’individus super-riches et des conglomérats apparurent du jour au lendemain. Jamais dans l’histoire humaine, peut-être, il n’y a eu un tel transfert spectaculaire et soudaine de richesse, autrement que par la conquête militaire. (Thane Gustafson, Capitalism, Russian-style, 1999, pp.18, 26.)

Un autre récit:

Quand la Russie a commencé à privatiser son industrie d’État en 1992, les règles ont été fixées pour que les patrons de l’usine soient assurés d’être en mesure d’acheter leurs propres usines à bas prix. Cela signifiait, en pratique, que peu de choses ont changé quand une usine fût privatisée, sauf que les gestionnaires avaient davantage les mains libres pour s’emparer de son argent et de ses actifs qui attiraient leur envie. Beaucoup de ceux qui avaient été directeurs sous le régime communiste sont devenus riches. (Robert Cottrel, “Russia: Was There a Better Way?” New York Review of Books, Oct. 4, 2001.)

Ces descriptions (et de nombreuses autres) montrent que les dirigeants bureaucratiques se sont métamorphosés en une bourgeoisie au lieu de défendre la propriété nationalisée que la théorie pabliste prédisait qu’ils devaient faire.


Et une contre-révolution pacifique a eu lieu?

Ceux qui croient que la chute du stalinisme signifiait un changement dans la domination de classe ont un problème: à l’exception de la Roumanie, les changements de régime se produisirent en pacifiquement sans détruire l’appareil d’État. Une telle idée va directement à l’encontre de la compréhension marxiste selon laquelle l’État est la propriété d’une classe dirigeante qui défend son pouvoir et ses privilèges à l’aide d’un monopole de la force. Pourtant, les «trotskystes» de tous genres ont fait valoir que des révolutions sociales pacifiques qui ne détruisent pas l’État ouvrier sont justement ce qui s’est produit en URSS et en Europe de l’Est.

Workers Power

Workers Power a tenté une justification théorique de cette notion, comme nous l’avons noté précédemment dans cette revue. Ils ont posé le dilemme eux-mêmes quand l’Allemagne de l’Est stalinienne a été engloutie par la bourgeoisie de l’ Allemagne de l’Ouest:

Est-ce que [l’Allemagne de l’Est] prouve qu’un renversement pacifique d’un État ouvrier est possible? Si la réponse est oui, et nous pensons qu’il doit être ainsi au moins pour l’Europe de l’Est, ceci semble nous mettre en collision frontale avec Trotsky. (Workers Power, juillet 1990.)

Les avocats de la LICR ont essayé de résoudre le problème en citant comme un précédent un commentaire de Trotsky sur la nouvelle constitution que Staline a imposé à l’URSS en 1936:

La nouvelle constitution confirme la dictature des couches privilégiées de la société soviétique sur les masses laborieuses, rendant ainsi impossible l’agonie d’un État, et ouvrant la voie à la bureaucratie «légale» pour la contre-révolution économique, c’est-à-dire la restauration du capitalisme «à froid». (Trotsky, Writings 1935-36, p.358.)

Bien sûr, Trotsky ne laissait pas entendre que la contre-révolution pouvait être pacifique. Il disait, en premier lieu, que la contre-révolution politique de la bureaucratie avait été accomplie et avait fermé l’espoir d’une transition pacifique vers le socialisme. Et, deuxièmement, que la nouvelle constitution a fourni une façade juridique pour la contre-révolution capitaliste ou sociale. Workers Power interpréte d’une manière rigide et simpliste «une restauration à froid» pour signifier la non-violence. Mais comme Trotsky l’a écrit un an plus tard: «Sans une guerre civile victorieuse la bureaucratie ne peut pas donner naissance à une nouvelle classe dirigeante». (Writings 1937-38, p.37.)

Lorsque la LICR a présenté la première fois sa justification pour rejeter le marxisme sur la question de l’État, elle ne s’appliquait qu’à l’Allemagne de l’Est, car ils ont fait valoir que les autres États post-stalinien demeuraient des États ouvriers, avec un élément modifié ou un autre. Mais en 2000, quand ils ont abandonné leurs «États ouvriers moribonds» et ont admis que la Russie et les autres étaients capitalistes, ils se vantaient de ne pas avoir été «désarçonnés» par l’aveu que la contre-révolution n’avait pas détruit l’État.

Nous avons déjà reconnu que la restauration n’a pas besoin d’une «destruction» de l’État. La contre-révolution sociale s’est déroulée pacifiquement. Sous le stalinisme, l’appareil bureaucratique et militaire avait déjà une forme bourgeoise: contrairement à un authentique État ouvrier révolutionnaire , il avait une armée permanente, une police secrète et des fonctionnaires non élus. Tout ce qui s’avérait nécessaire était un nouveau gouvernement engagé envers le capitalisme pour assumer le contrôle au sein des cercles dirigeants de ce pouvoir d’État. (Capitalist restoration and the state, le site Web de la LICR, novembre 2000.)

En d’autres termes, le même appareil d’État peut servir deux classes en lutte, selon les intentions de ses dirigeants. C’est précisément la théorie pabliste des révolutions des États ouvriers déformés en sens inverse. Elle brisa le marxisme, et non l’État.

Les Spartacists

Workers Power a été rapidement suivi par la Spartacist League. Le théoricien en chef de la SL, Joseph Seymour, a écrit autrefois sans détour:

La restauration capitaliste ne peut se produire soit par une évolution graduelle ou par un simple remaniement du personnel au sommet, elle exige une contre-révolution violente. ... La restauration capitaliste ne peut triompher que par une guerre civile dans laquelle la classe des éléments conscients du prolétariat ont été anéantis dans le cadre de leur lutte acharnée pour défendre la propriété collectivisée ... (Why the USSR Is Not Capitalist, pp.62-64.)

Mais après la chute du stalinisme, agissant en tant que conseiller juridique des Spartacists, Seymour cherchait de nouveaux précédents. Trotsky, paraît-il, avait suggéré en 1928 qu’un coup d’État militaire capitaliste était possible en URSS et «prévoyait qu’un tel renversement n’avait pas besoin de provoquer une guerre civile totale». Mais il a admis que Trotsky n’est jamais revenu à un tel scénario, une fois que les staliniens ont mis sur pied leur État policier. (Spartacist hiver 1990-91, pp.5-6.) Les Spartacists n’avaient pas déterminé à ce moment là que les États staliniens étaient déjà devenus bourgeois; ils soutenaient que les gouvernements, mais pas les États, de l’Europe de l’Est, étaient capitalistes, et insistaient que des convulsions violentes seraient nécessaires pour terminer le travail. Seymour a ajouté qu’en URSS la victoire d’un gouvernement bourgeois, et pas seulement d’un État, aurait vraisemblablement besoin de la violence: “Il est difficile d’imaginer que les forces capitalistes-restaurationnistes atteignent le pouvoir gouvernemental sans une guerre civile, comme cela s’est produit en Europe de l’Est.” (p.14.) A la fois en URSS et en Europe de l’Est Seymour a placé sa confiance dans les forces armées et la police staliniennes pour défendre les «États ouvriers».

Toutefois, lorsque les Spartacists ont finalement révélé que le capitalisme avait triomphé rétroactivement, il n’y avait pas eu de guerre civile et de violence à grande échelle et l’appareil militaire stalinien n’avait pas été détruit. Ils ont fait une profession de foi envers la théorie marxiste sur l’État en émettant l’opinion que «la consolidation de cet État [capitaliste] à travers un grand bain de sang - soit une violente répression contre le mouvement ouvrier ou un conflit inter-ethnique à grande échelle comme en Yougoslavie - est probable dans un avenir rapproché». Mais la contre-révolution avait déjà eu lieu. Pour les Spartacists, comme pour la LICR, un «changement de régime» d’une classe à une autre était possible sans détruire l’État.

Tendance Socialisme International

Ni la LICR ni la SL ne furent les premiers à inventer une contre-révolution pacifique. Tony Cliff de la TSI avait longtemps auparavant défendu l’idée dans son livre. Pour Cliff, la restauration du capitalisme avait eu lieu en Russie vers 1928. Comme pour la LICR, il a cité le passage de Trotsky à propos de la «restauration à froid», affirmant qu’à travers ça Trotsky «retirait l’argument selon lequel un changement graduel à partir d’un État prolétarien vers un État bourgeois tourne à l’envers le film du réformisme». Comme les Spartacists, Cliff a fait profession de foi envers la théorie marxiste sur l’État en soulignant la période violente des procès de Moscou à la fin des années 1930, qu’il a appelé, suivant Trotsky: «la guerre civile de la bureaucratie contre les masses, une guerre dans laquelle un seul côté était armé et organisé». (State Capitalism in Russia, p.195-6.) Mais alors, selon la TSI, la contre-révolution datait de dix ans.

Après l’effondrement du stalinisme, un autre dirigeant de la TSI, Alex Callinicos, a essayé de marquer un point contre les trotskystes orthodoxes en comparant les évènements de 1989-91 avec la période où la TSI dit que l’État ouvrier a été renversé. «Les révolutions de 1989 ... ont été remarquables pour leur absence de conflit sociaux et de violence à grande échelle», par opposition à «la sauvagerie impliquée dans les transformations instaurées à partir de 1928». Cliff, a t-il noté, «a décrit les années 1930 comme une guerre civile de la bureaucratie contre les masses, une guerre dans laquelle un seul côté était armé et organisé». (The Revenge of History, 1991, p.53.) Ici Callinicos fait une tentative peu convaincante de déformer les propos de Cliff et couvrir son abandon du marxisme sur l’État. En attribuant la guerre civile aux «années 1930» plutôt qu’aux procès de Moscou, il tente de relier la date de 1928 de la TSI directement aux dernières convulsions. C’est une autre tentative de remplacer la vérité par l’argument d’un avocat. Le fait demeure que, pour la TSI, la contre-révolution n’a pas détruit l’État ouvrier.

Workers Power a ramené la man?uvre à son point de départ. Ils ont commenté le point de Cliff-Callinicos que de dater la contre-révolution à 1989 reviendrait à du réformisme: «Il est clair que toute accusation de réformisme formulée contre les trotskystes aujourd’hui devrait également être formulée sur l’analyse originale des années 1920 par Cliff». (“The Crisis of Stalinism and State Capitalist Theory” dans Permanent Revolution 9, 1991.)

Autrement dit, si la LICR est réformiste, la TSI l’est aussi. Exactement.


Leurs prédictions et les nôtres

À la veille de l’effondrement du stalinisme, voici ce qui a été dit par les principaux représentants des diverses théories du stalinisme discutées dans cet article.

Robert Brenner, un dirigeant du groupe américain Solidarity, parlant pour la théorie du collectivisme bureaucratique:

La réponse de la bureaucratie serait vraisemblablement le capitalisme ... . Pourquoi n’iraient-ils pas dans cette voie? Parce qu’ils ne sont pas une classe capitaliste. Ils sont une classe dirigeante basée sur l’État, et il n’y a aucun moyen par lequel ceux qui sont dans la classe dominante pourraient tout simplement apporter des retouches au système social et se transformer eux-mêmes en propriétaires capitalistes privés. (Workers’ Liberty, Nos.12-13, 1989.)

Ernest Mandel, le plus important défenseur de la théorie des États ouvriers déformés:

La question principale dans les luttes politiques en cours n’est pas la restauration du capitalisme. ... Dans aucun des Etats ouvriers bureaucratisés la petite bourgeoisie et moyenne bourgeoisie ne représentent plus qu’une petite minorité de la société. Ces éléments ... bénéficient d’un soutien, bien que très limité, du grand capital international. Mais, globalement, cette convergence sera insuffisante pour imposer une restauration du capitalisme à court ou moyen terme. (International Viewpoint, 30 octobre 1989.)

Mike Haynes, un théoricien du capitalisme d’État cliffiste, tout juste deux ans avant la chute du Mur de Berlin:

Même si l’économie soviétique est peut-être bien plus inefficace et bien moins rentable que l’économie des pays occidentaux, ces différences sont des questions de degré et le degré est souvent exagéré ... . L’économie soviétique a démontré une énergie suffisante pour non seulement empêcher que l’écart avec les pays occidentaux avancés s’élargisse, mais soit réduit à la fois d’une manière absolue et relative. (International Socialism 34, 1987.)

En revanche, sur la base de notre théorie du capitalisme étatisé, nous avons écrit dans cette revue à la fin de 1988:

Il est évident que d’importants segments des classes dirigeantes staliniennes n’ont plus confiance dans leur système économique et cherchent désespérément un quelconque itinéraire de retour à la stabilité. ... L’effondrement du système confirme l’analyse que Proletarian Revolution et la Ligue pour le Parti Révolutionnaire (League for the Revolutionary Party) défendent depuis longtemps: ... que le système a une tendance inhérente à abandonner sa structure économique superficiellement centralisée et à adopter les formes traditionnelles de marché capitaliste. (“Death agony of Stalinism,” dans PR 33.)


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